29 mai 2008

T'as pas vu passer un ange ?



« Mon propos est la réunion entre les mondes visibles et invisibles, la photographie me permettant de pervertir les modes de perception parmi ceux qui voient et ceux qui ne voient pas. » Evgen Bavcar, photographe.

La rencontre était prévue, préparée, attendue. Alchimie de trois individus mis ensemble suite à de multiples concours de circonstances, je passe les détails. Si miss Rozenn est la spécialiste des questions curieuses et incisives, à la fois candides et pertinentes, je reste quant à moi parfois sur la réserve et demeure à la surface des choses, à croire que je (me) coule dans le moule protestant genevois façon : Ne dérangeons pas le silence et les secrets qui dorment.

Heureusement Monsieur Evgen ne manquait pas d'interrogations et d'anecdotes sur les oiseaux, la propreté helvétique, Musil, Calvin ou les couteaux suisses mais certaines de ses questions furent particulièrement déroutantes. Tout à coup, l'expression "pervertir les modes de perception parmi ceux qui voient et ne voient pas" mise en exergue de l'une de ses bio express qui traînent sur internet me sembla assez juste.

Comment dois-je expliquer à un aveugle où est Carouge, la cathédrale ou le jet d'eau par rapport à l'endroit où nous sommes en train de manger ? "A votre droite, à votre gauche, derrière vous..." Cela ne veut rien dire pour moi qui ne visualise certainement pas l'espace de la même manière. Mais j'imagine que monsieur Evgen établit une géographie intérieure, liée à une perception personnelle de cette ville ou alors il a inventé un gyroscope intérieur, un bijou de technologie, qui lui permet de placer les choses de manière fiable. Mes réponses évasives ou imprécises pourraient cependant brouiller sa carte, fusiller son Gps. Honte à moi.

En même temps, il me semble que je fais appel au même GPS lorsque je parle d'une ville où je ne suis pas retourné depuis longtemps, je cherche avec mon interlocuteur à visualiser les quelques lieux clés auxquels je suis attaché et j'essaye de définir virtuellement l'endroit dont on me parle par rapport à ceux dont je me souviens. Je ne sais pas si vous voyez vraiment ce que je veux dire... enfin...

Finalement, si nos discussions ont clairement réveillé les notions de gyroscope ou de gps, c'est uniquement lié au fait que d'une manière exacerbée, monsieur Evgen demande que l'espace lui soit décrit. Et aucun d'entre nous ne doit au quotidien décrire aussi simplement et efficacement l'espace qui l'entoure. Ainsi par des questions simples, monsieur Evgen insinue entre moi et l'univers un brin de décalage.

Au cours de la soirée, Monsieur Evgen a avoué aimer les expériences depuis sa plus tendre enfance. Il se souvient du temps où il jetait les chats d'un peu haut pour les voir retomber sur leurs pattes. Avant l'accident de ses 12 ans, Monsieur Evgen a eu tout comme nous du plaisir à torturer le réel pour éprouver d'un regard sa complexité, jouir de son mystère. Aujourd'hui, ce jeu cruel ne l'amuserait guère, mais il lui reste les questions. Ainsi il peut toujours analyser les capacités de rétablissement de ses interlocuteurs, quand il provoque leur capacité à voir le monde à sa manière.

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